Le programme de sauvegarde « Courlis & co » porte sur un oiseau remarquable, à la silhouette impossible à confondre, perchée sur de longues pattes et muni d’un grand bec arqué : le Courlis cendré. Ce limicole, nicheur au sol, est une espèce typique des milieux ouverts et préférentiellement humides. Il fréquente les landes, tourbières, cultures, et prairies gérées de manière extensive.
Des oiseaux menacés par l’évolution des milieux et les activités humaines
Depuis les années 1970, le courlis cendré connait un déclin généralisé dans toute l’Europe. La France n’échappe pas à la règle et l’espèce est aujourd’hui classée vulnérable sur la liste rouge nationale et en danger en Auvergne. Les effectifs de nicheurs sont faibles et les couples localisés dans des secteurs présentant des plaines et milieux prairiaux humides. En 2015, la population reproductrice française est estimée à 1 300 – 1 600 couples sur une aire de répartition hétérogène (Issa & Muller 2015). Alors qu’elle fut relativement constante (Birdlife 2004), elle aurait accusé une diminution de 25% entre 2000 et 2015, avec néanmoins une répartition relativement stable (Issa & Muller 2015).
A l’échelle de l’Auvergne, la population est en baisse dans le Puy-de-Dôme, l’Allier, le Cantal tandis qu’elle a disparu de Haute-Loire.
La situation très préoccupante de l’espèce à l’échelle nationale met en exergue la nécessité de préserver le Courlis cendré et les milieux qui lui sont associés là où il est encore présent, d’où un programme de sauvegarde dédié.
Les causes du déclin du Courlis cendré
Une diminution des habitats favorables : le Courlis cendré était initialement présent dans les tourbières, les landes tourbeuses, et les prairies inondables des plaines alluviales. Il s’est accommodé au changement de paysages dû à la rapide transformation de ces milieux en prairies humides à partir de la fin du XIXème siècle. Les effectifs et localisation ont ainsi augmenté jusqu’au milieu du XXème siècle où cette tendance s’est inversée en raison de l’exploitation de plus en plus intensive de ces habitats et de leur morcellement par les cultures.
Dans le Cantal, les couples nicheurs, et par extension leur population, concentrés autour de la narse de Nouvialle sur la Planèze de Saint-Flour, voient leur habitat fortement menacé, par un projet de carrière de diatomite dont le dossier devrait être déposé fin 2023 par les carriers. La LPO, comme de nombreux autres acteurs et usagers du territoire, s’oppose à ce projet d’exploitation de la narse. En savoir plus ici.
L’évolution des pratiques agricoles : L’évolution du modèle agricole (méthodes culturales plus intensives : enrubannage, ensilage…), couplé au changement climatique, induisent des dates de fauches de plus en plus précoces mettant en péril la nidification des courlis (oeufs écrasés, juvéniles fauchés, etc…). Une fertilisation importante des prairies entraine également une modification de la structure de la végétation avec des graminées plus hautes et plus denses dans les lesquels les poussins se déplacent difficilement. Ces prairies à plus faible diversité floristique présentent également une ressource alimentaire appauvrie.
La prédation : Malgré un comportement territorial fort et un plumage cryptique le Courlis reste particulièrement vulnérable à la prédation de ses pontes et poussins (corneilles, renards, mustélidés, chats, etc…).
Le dérangement : le Courlis est une espèce sensible au dérangement, particulièrement en période de nidification où des perturbations trop fréquentes peuvent conduire à l’abandon du nid par les couples.
La situation auvergnate
Le Courlis cendré est un nicheur rare en Auvergne. On le retrouve exclusivement dans des milieux agricoles.
Il est principalement présent dans 3 départements de l’ex-région : l’Allier (Sologne bourbonnaise, Limagne et les Vals d’Allier et de Loire), le Puy de Dôme (Limagne) et le Cantal (Planèze de Saint-Flour). Cette répartition très localisée et ces populations relictuelles font du courlis cendré une espèce fortement menacée qui mérite une attention toute particulière.
Une enquête de terrain conduite par la LPO entre 2014 et 2015 faisait état de :
- 70 à 88 couples dans l’ensemble de la région avec 20 couples dans l’Allier,
- 31 à 42 couples dans le Cantal,
- 0 à 1 couple en Haute-Loire,
- 19 à 24 couples dans le Puy-de-Dôme.
Ces estimations ont depuis été revues à la baisse avec 18 couples pour le Cantal en 2022-2023 et 2 à 3 couples pour le Puy-de-Dôme pour les mêmes années. L’espèce a disparu de Haute-Loire.
La LPO en action : programme de sauvegarde et méthode de protection du Courlis cendré
Dans l’optique d’enrayer ce déclin, la LPO met en place des actions pour la sauvegarde du Courlis cendré, notamment via le programme « Courlis & co » en 2019-2021 faisant l’objet d’un soutien financier FEDER Massif central. Les objectifs sont multiples : améliorer nos connaissances sur cette espèce discrète, mettre en place des actions de protection concrète en collaboration avec les agriculteurs, sensibiliser les acteurs du territoire à cette espèce emblématique…
Le programme de sauvegarde « Courlis & co »
Ce programme est mené en étroite collaboration avec les agriculteurs. En effet, protéger les nichées découvertes, c’est limiter le déclin de ces populations voire augmenter leurs effectifs et cela ne peut se faire qu’avec le concours des agriculteurs . Au-delà de l’autorisation nécessaire pour agir sur une parcelle, c’est avec les agriculteurs que la LPO échange pour anticiper la fauche afin de pouvoir protéger et suivre le nid, voire de poser une protection si nécessaire. En effet, afin de maximiser les chances de réussite des nichées, la mise en place d’une protection autour des nids repérés doit être rapidement réalisée.
Déroulé d’une campagne de protection
- Localisation du nid depuis l’extérieur de la parcelle.
- Prise de contact. Une fois que le nid a été précisément localisé (« aligné ») depuis l’extérieur de la parcelle, il convient de contacter l’exploitant de la parcelle concernée, prendre connaissance de ses pratiques, notamment de fauche, et demander son autorisation pour mettre en place une protection. Cette phase de contact et d’échange est aussi un bon moyen de sensibiliser à l’enjeu de protection du Courlis cendré et aux différentes adaptations des pratiques agricoles possibles (retard de fauche, fauche centrifuge…).
- Mise en place de la protection. Une personne est chargée de guider une équipe de 2 à 6 personnes maximum depuis le point de repérage jusqu’au nid. Pour limiter l’empreinte olfactive, indicatrice de la présence du nid pour un prédateur, chaque personne doit être munie de bottes en caoutchouc. Ensuite, la protection est posée autour du nid près duquel un jalon est fixé le temps de l’opération. Le plus rapidement possible, l’équipe dispose deux filets à mouton de 50 mètres sur 90 cm de hauteur autour du nid de sorte à former un carré de 25 mètres de côté ou un cercle d’environ 15 mètre de diamètre. La clôture est ensuite électrifiée dans le but de protéger contre la prédation par voie terrestre (renard, chien, chat, …).
- Contrôle de non-abandonnement du nid. Après la pose de la protection, un contrôle du retour au nid d’un des parents doit être fait depuis un point de vue plus lointain.
- La protection est retirée après l’éclosion des jeunes qui quittent le nid. Un suivi des couples et jeunes est alors mis en place afin d’estimer le pourcentage de réussite ou d’échec des nichées. Néanmoins, une fois éclos, il est difficile de suivre les jeunes courlis. Cette dernière étape comprend donc la recherche des juvéniles à raison d’un passage par semaine.
Le suivi des couples non protégés est réalisé. Le suivi des couples, protégés ou non, permet d’estimer le pourcentage de réussite ou d’échec des nichées et donc de mieux connaître la population et ses effectifs.
Piste d’amélioration de l’efficacité des suivis : le repérage par drone
Le programme 2019-2021 a été l’occasion de tester une nouvelle méthode de repérage des nids de courlis via l’utilisation d’un drone équipé d’une caméra thermique. En effet, forte de son expérience concluante avec les drones dans ses campagnes de protection des nichées de busards, la LPO a tenté la même opération sur les courlis cendrés. Les tests de repérage à l’aide de caméra conventionnelle n’ont cependant pas donné de résultats concluants. L’utilisation d’un drone équipé d’une caméra thermique a donc été envisagée dans l’optique de faciliter le travail de localisation des nids menant à leur protection. Ce programme « test », financé par la DREAL AuRA, a ciblé deux territoires emblématiques pour le Courlis cendré que sont la Limagne (63) et la Planèze de Saint-Flour (15).
Retour en vidéo sur la mise en oeuvre du programme de sauvegarde du Courlis cendré en 2021
Ces tests se sont avérés partiellement fructueux, et l’expérience accumulée depuis le début du programme nous a permis de nettement augmenter notre efficacité sur la détection des nids en repérage visuel.
Les balises GPS, des outils de pointe pour améliorer les connaissances
Dans le cadre d’un programme de recherche sur le Courlis cendré porté par Pierrick Bocher (UMR LIENSs – La Rochelle Université), un mâle de la Planèze de Saint-Flour a été bagué et équipé d’une balise GPS dans la nuit du 28 au 29 mars 2023. Le premier Courlis balisé, surnommé « Cantalou » a pu être suivi et ses déplacements ont permis de localiser son site de nidification au sud de la Planèze de Saint-Flour. Bien que cette nichée ait échoué cette année, la balise GPS nous a permis de suivre le trajet migratoire de l’individu jusqu’à l’estuaire du Tage, à Lisbonne où il semble s’établir pour passer l’hiver, comme la majorité des autres Courlis nicheurs en France.
Ces premières données amènent à réfléchir quant à la poursuite des balisages sur la Planèze de Saint-Flour afin de récolter davantage d’informations et de comparer les comportements des individus cantaliens. Ces dispositifs permettent à la fois d’étudier les déplacements des individus en période de nidification ainsi que leur stratégie de migration, utilisation des habitats… Intégrer la population de Courlis cendré du Cantal au sein d’un programme de suivi global est une perspective à envisager.
Fin mars 2024, nos équipes du Cantal ont de nouveau capturé un Courlis pour pose de balise GPS. Il s’agit d’une femelle que nous suivons et dont nous protégeons le nid depuis quelques années. (lire l’article ici).
La capture d’animaux sauvages est interdite par la loi. Une dérogation (dite « autorisation de capture » ou « permis de baguer ») délivrée par le Centre de Recherches par le Baguage des Populations d’Oiseaux (CRBPO) est obligatoire pour pouvoir capturer et baguer un animal sauvage. Le baguage est ensuite effectué suivant des protocoles établis par le CRBPO.
Bilan des actions de protection
2022
- Cantal : 18 couples identifiés, 11 nids localisés et 5 nids protégés.
- Puy-de-Dôme : 3 couples dont deux reproducteurs, 2 nids localisés, 1 nid protégé (avec éclosion).
2023 – 18 couples identifiés sur l’ensemble des trois grands secteurs dont 13 couples nicheurs. Les nids de 10 d’entre eux sont repérés avec une précision à la parcelle, et 6 ont été protégés.
Télécharger le dépliant « Le Courlis cendré, oiseau emblématique de nos prairies » ici
Le programme de sauvegarde « Courlis & co » est co-financé par l’Union européenne dans le cadre du Fonds Européen pour le Développement Régional (FEDER).