Pour continuer notre sensibilisation sur le projet de barrage Rhônergia, Joël Allou, délégué territorial de la LPO de l’Ain, nous propose de porter un regard différent sur le projet, celui inspiré des connaissances du peuple Kogi.


Notre vision du projet Rhônergia nous invite à puiser nos savoirs auprès d’autres peuples.
Des façons de penser différentes, une vision du vivant apaisée loin des discours techniques, de la rentabilité, des injonctions nous incitant à toujours plus produire, consommer… Simplement des savoirs et des connaissances que nous avons oubliés, préférant nous endormir dans le confort incertain d’un progrès censé nous apporter toujours le meilleur, en omettant par la même occasion que ce monde n’est pas uniquement humain, mais composé d’une biodiversité magnifique, source de vie, socle de cette superbe planète sur laquelle nous vivons.

Les indiens Kogis composent une communauté Amérindienne du nord de la Colombie. Ils se nomment « gardiens de la nature » et leur raison d’être est double : être relié avec la nature et vivre ensemble en paix.
Près de 30 000 personnes vivent au sein de la tribu et plus de 100 000 personnes dans la Sierra Nevada de Santa Marta en comptant 3 autres tribus voisines, les Arhuacos, les Wiwas et les Kankuamos.
Cette communauté vit en totale autarcie, pas de chef et pas d’argent mais des chamanes, guides spirituels qui passent en guise de formation parfois jusqu’à 18 ans dans le noir.
Les Kogis essayent depuis des années d’alerter sur les méfaits que les humains font à la nature. Selon eux, il est essentiel de « se connecter à la terre grâce aux pensées originelles de la création ». Pour eux, il est nécessaire de « prendre soin de la vie de mère nature, de l’humanité et de la planète ». L’Unesco a inscrit en 2022 le savoir des indigènes Colombiens de la Sierra Nevada au patrimoine immatériel de l’Unesco. (*)

Alors pourquoi parler des indiens Kogis ?

Parce qu’en septembre 2023, ils sont venus visiter le fleuve Rhône avec leur savoir ancestral afin d’échanger avec une cinquantaine de scientifiques Suisses et Français qui les accompagnaient pour « identifier des voies alternatives pour préserver et restaurer la biodiversité par de nouvelles pratiques » et faire « un diagnostic du Rhône ».

Au bord de l’eau, Arregocès Conchacala Zalabata, gouverneur du peuple Kogi, a expliqué qu’il parcourait le « corps » du fleuve « comme un médecin ». « On a commencé par la tête avec le glacier (en Suisse), on a regardé son cœur (le lac Léman) et maintenant le poumon ». Les rivières qui se jettent dans le fleuve sont des veines qui l’irriguent.

Pour eux : la confluence de la rivière Ain et du Rhône, bien que vivace et verdoyante, est un « point rouge », c’est-à-dire un point de grande vulnérabilité. Ils recommandent de « laisser vivre » ce qui est un des derniers tronçons du Rhône sauvage. Ils ont nommé la confluence : « Munkulaxka » : le lieu qu’il faut laisser croître. (*)

Pour Éric Julien, géographe et fondateur de l’association Tchendukua – Ici et Ailleurs, à l’initiative du projet : « Les Kogis aiment illustrer leur appréhension de l’environnement naturel par la métaphore suivante : « Ils sont le stéthoscope qui écoute la Terre, qu’ils comparent à un énorme corps humain. Quand on regarde un corps humain, on ne voit pas de prime abord les réseaux sanguins, nerveux, ventilatoires, énergétiques qui relient les organes entre eux. Pour la Terre, c’est pareil : il y a des réseaux sanguins (eaux), ventilatoires (vents, airs…), nerveux (radioactivité naturelle, champs magnétiques…) ». Seulement, cet équilibre est menacé par « les petits frères », la société occidentale. « Cette mère est un comme un grand corps humain, et s’il en manque une partie, le reste ne peut plus fonctionner ». (*)

Les Kogis nous invitent à nous reconnecter à l’histoire de nos territoires, notre passé, à retrouver la mémoire et connaître l’histoire originelle de nos montagnes, nos rivières, nos sols, l’eau…
Pour eux, il est impératif de protéger nos écosystèmes, les soigner.

En fait, il y a deux chemins selon eux pour répondre aujourd’hui aux dérèglements climatiques :
– Soit celui de protéger la biodiversité, la soigner, trouver la paix avec le vivant ;
– Soit détruire, construire plus de barrages sur les fleuves, détruire des sites sacrés, produire plus…
À nous de faire en sorte de prendre le bon chemin.

Certains dommages sont irréparables, il est donc essentiel de protéger ce qui reste, d’écouter les lois de la nature. Notre devoir est de rendre au fleuve ce que nous lui avons pris.

C’est ainsi qu’ils nous invitent à respecter les glaciers (le cerveau) qui alimentent le Rhône, car sans « cerveau » plus de vie, et à respecter le fleuve car sans « poumon » plus de vie.

Vous l’aurez compris, ce regard des Kogis sur le Rhône nous fait comprendre l’absurdité du projet Rhônergia.

La décision qui sera prise par l’État Français est à la croisée de deux chemins :

– Soit nous protégerons le vivant de cette dernière portion du Rhône encore intacte dans un projet ambitieux pour la biodiversité, pour les générations futures, avec le fleuve et pour la paix ;
– Soit nous choisirons de détruire définitivement la vie de ce fleuve en lui prenant ce qui lui reste de « poumon » en mettant un peu plus en danger tout un territoire.

Joël Allou, délégué territorial de la LPO de l’Ain.

(*) Réferences : Association TCHENDUKUA ici et ailleurs, Géo, La Croix, Radio-Vostok Genéve, Swiss-info