Zéro perte nette de biodiversité : tel était l’objectif ambitieux fixé par le législateur. Mais comment les associations de protection de l’environnement peuvent-elles encore y croire, lorsque l’État lui-même détruit un réservoir de biodiversité ?
Des travaux de déboisement et de débroussaillement sont en cours dans un secteur à forts enjeux sur le territoire grenoblois. Ils ne seront très probablement pas stoppés, malgré l’alerte lancée par les associations de protection de l’environnement.

La destruction d’un réservoir de biodiversité

Une parcelle de 4,5 ha appartenant à l’État, gérée par les Domaines, est en train d’être déboisée et entièrement débroussaillée.
Depuis 2013, une Obligation Légale de Débrousaillement impose par arrêté préfectoral de débroussailler dans un rayon de 50 m autour des bâtiments afin de protéger du risque d’incendie.
L’État a donc appliqué cette réglementation mais est allé bien au-delà en étendant cette procédure sur l’intégralité de sa parcelle, en ne tenant compte ni des techniques de gestion raisonnée, ni de la période la moins impactante préconisée par la Préfecture elle-même, à savoir novembre-février pour limiter les impacts sur la biodiversité.

Cette parcelle se situe au-dessus de la cité du Rabot, sur les hauteurs de Grenoble. La parcelle concernée est classée en zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique de type 1 et 2. Ce lieu emblématique de l’Isère est également un site inscrit depuis 1942, identifié comme élément de paysage par le Plan Local d’Urbanisme métropolitain. Ces travaux sont réalisés en pleine période de reproduction de la faune et de la flore par une entreprise mandatée, impactant les espèces présentes dont plusieurs sont protégées et/ou patrimoniales.

De nombreuses espèces à forte valeur patrimoniale affectées par les travaux

De nombreuses espèces remarquables, tant au niveau floristique que faunistique, dont certaines sont des raretés départementales voire régionales, vivent dans le secteur affecté par les travaux.

Concernant la faune, une étude très récente réalisée par la LPO en Isère sur la parcelle fait état de la présence de nombreuses espèces :

  • 62 espèces d’oiseaux recensées dont les espèces nicheuses suivantes : le Pic épeichette, le Serin cini, le Chardonneret élégant (classé « vulnérable » en France), la Fauvette des jardins (quasi menacée en Isère et en France), le Pouillot véloce et le Grosbec casse-noyaux (quasi menacés en Isère). Ces espèces sont en fort déclin en France ou dans la région, justifiant leur patrimonialité.
  • 6 espèces de chauves-souris dont une espèce de murin (genre Myotis), espèce remarquable. Ce sont des chauves-souris plutôt forestières (colonies abritées généralement dans des cavités d’arbres), le plus souvent lucifuges. Leur présence au Rabot témoigne d’une relative continuité écologique entre le Rabot et le reste de la colline de la Bastille. 34 arbres gîtes pour les chauves-souris ont été identifiés.
  • l’Écureuil roux,
  • le Lézard des murailles,
  • concernant les papillons, le Citron de Provence et l’Écaille chinée sont présents. Le premier est très localisé dans le département et dépend de sa plante-hôte, le nerprun, qui pousse surtout dans les coteaux secs et ensoleillés. L’Écaille chinée est encore commune, mais est listée à l’annexe 2 de la Directive « Habitats ». Elle vit dans la végétation herbacée et buissonnante (large gamme de plantes-hôtes).

Concernant la flore, une étude très récente réalisée par Gentiana indique la présence d’espèces patrimoniales menacées ou quasi-menacées sur la Liste Rouge régionale : Aster linosyris, Linaire à feuilles d’origan, Orobanche à couleur d’améthyste et Renoncule à petites fleurs.

Réaliser ces travaux en pleine période printanière affecte gravement la reproduction de ces espèces patrimoniales.

un gros bec en train de se poser sur une branche
Grosbec casse-noyaux © Christian Bouchardy

Les association de protection de l’environnement se mobilisent

Ces travaux témoignent de la vulnérabilité du site. La LPO AuRA, FNE Isère et Gentiana demandent de façon répétée depuis 2015 aux communes concernées par ce site (Grenoble, La Tronche et Saint-Martin-le-Vinoux) de mettre en place une protection de ce site, couplée à une gestion / concertation avec les usagers.

Devant la gravité de cette atteinte à la biodiversité, nous avons alerté l’Office Français de la Biodiversité (police de l’Environnement) car la Ville de Grenoble et la Direction Départementale des Territoires de l’Isère (DDT Isère) n’ont pas réussi à stopper ces travaux malgré leurs efforts.

En raison de la gravité des ces faits, FNE Isère, Gentiana et la LPO AuRA envisagent de porter plainte pour destruction d’espèces protégées et de leurs habitats.
Nos associations demandent l’arrêt immédiat des travaux et une mise en place rapide de mesures de protection efficaces et de gestion dédiées, pour préserver de manière pérenne ce réservoir de biodiversité, si cher aux Grenoblois et aux Isérois.


Pour rappel, l’article L411-1 du code de l’environnement interdit pour les espèces protégées :

  • La destruction ou l’enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces,
  • La destruction, la coupe, la mutilation, l’arrachage, la cueillette ou l’enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique,
  • La destruction, l’altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d’espèces.

Le non-respect de l’article L411-1 peut aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende (article L415-3). Le maître d’ouvrage comme le prestataire sont concernés par ces sanctions.